CLAIR ET NET
1. La radio
Le 8 juillet 1978 ils ont tué
Germán. J’avais 11 ans. C’était les fêtes de Sanfermin.
A cette époque, tout le monde
écoutait à la radio, en direct, les communications de la police. Et nous,
soi-disant à l’abri dans la maison de mon grand-père, nous avions peur.
Mon grand-père, que nous
appelions simplement “abuelito” (papy), avait participé au coup d’état
franquiste mais, selon lui, seulement comme chauffeur d’ambulance.
Quand il nous amenait en
voyage, nous passions parfois sur un lieu de ses batailles, et il pleurait.
C’est le premier homme que j’ai vu pleurer, et je l’ai toujours admiré pour ça.
Pendant ces fêtes de
Sanfermin, quelque chose semblait pouvoir changer dehors, et peut-être même
faire disparaître la peur du dedans.
2. Le sac poubelle
Au début des année
quatre-vingts, l’E.T.A. tuait parfois des enfants: Antonio, Maria, Alfredo...
Pendant un temps, on nous
disait que les sacs poubelle pouvaient contenir des bombes, et qu’on devait
rester à distance.
N’importe qui pouvait
exploser.
Je n'ai jamais donné un coup
de pied dans un sac poubelle.
3. La rue est à nous
Les gens couraient devant les
“gris” (la police franquiste) pour leur échapper.
Certains d'entre eux sont un
jour passés de l'autre côté de la barrière et ont changé la couleur de la
police.
Une autre couleur, le marron,
pour la même police.
La rue était l’endroit où nous
voulions vivre. Nous occupions les bars, les places, parfois une maison vide,
sans être des terroristes.
La police ne posait pas de
questions, tous étaient des ennemis.
Régulièrement, pendant les
charges, la police évacuait les
bars, avec coups de culasse à la sortie inclus.
Une nuit, au “Primi” de
Pampelune, j’ai évité le coup de justesse. Le gars derrière moi, non.
4. Nous sommes surveillés
Je suis arrivé à Bilbao quand
la ville était encore laide, dure et magnifique.
J’ai appris à vivre seul et à
être nous. Et aussi l’art, la langue basque, l’amour et la jalousie.
On participait à des
rassemblements et des concerts, avec le PSOE et une outre de vin.
Un jour j’ai crié “Vive l’ETA
militaire” et, avant que le silence arrivait, j’ai eu honte.
Un autre jour, en sortant de
ma maison, ils ont arrêté mon ami. J’ai réalisé qu’on était surveillés.
5. Euskalduna naiz / Je
suis basque.
Quelqu’un a dit que le
nationalisme se soigne par le voyage. A condition d’en souffrir, je suppose.
A Marseille, en France, j’ai
découvert que j’étais latin, pas anglo-saxon; du Nord, pas du Sud, Basque et
Navarrais, mais sans nation.
Je crois que la seule nation
acceptable est celle de la frontière, l'apatride où on se sait éphémère et de
nulle part.
6. Un nouveau départ
En 1992 beaucoup de rêves se
sont terminés.
Cette année-là j’ai déménagé
dans la “cité des miracles”, Vitoria-Gasteiz
Peu d’endroits hébergent
autant de gens exceptionnels (Bego, Paco…)
Peu de villes ont une telle
offre culturelle,
Mon rêve de qualité de vie
n'avait jamais été si proche de la réalité.
La Culture était alors une
arme chargée de futur.
Peu à peu, l’incertitude
concernant l'avenir a commencé à détruire la Culture.
7. Epilogue
Aujourd’hui, le 8 juillet
2014, dans la ville où je vis,
les fonctionnaires de la
culture sont payés pour démolir,
on qualifie les banquiers de terroristes,
et la gauche patriotique pacte
avec la droite populaire,
mon fils de 11 ans ne croit
pas aux bombes dans des sacs poubelle,
le terme “punité” n’existe ni
dans le fond ni dans la forme,
on ne décide pas non plus de
nos impôts,
il n’y a pas de transparence,
j’enseigne dans une école
d’art en laquelle je crois
et, par dessus tout,
Je suis vivant.
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